Aurélien Mole cultive une approche d’artiste dandy, sophistiqué conjuguant précision érudite et poétique de la façon. Son travail joue avec perspicacité de la référence historique et artistique, souvent déplacée, toujours maîtrisée. Sa proposition à Passerelle Centre d’art contemporain malicieusement intitulée « Bénin » quelque part entre nonchalance et partage d’exotisme convoque l’histoire de l’art et de la technique – et notamment photographiques - comme autant d’objets d’étude et socles de création.

À la fois cœur et mécanique de l’exposition, un film puise son inspiration dans les recherches d’Hippolyte Bayard. Ce photographe et inventeur, employé du ministère des finances passait ses pauses déjeuner sur le toit de l’administration où il disposait des statuettes en plâtre sur fond noir face à une camera obscura afin d’obtenir des images se détachant en blanc sur un papier noir de son invention. Comme souvent chez Bayard, l’artiste prend le pas sur le chercheur, et les statuettes en plâtre, simples sujets d expérience choisis pour leur qualité de blancheur, se multiplient dans des compositions de plus en plus baroques. Au final, les images qu’enregistre Bayard forment une sorte de cabinet de curiosité en plâtre dont la raison d’être n’est plus que lointainement son rendu bidimensionnel. C’est sur ces compositions qui proposent une sorte de musée universel réduit à sa plus simple expression que s’appuie le film en proposant d’observer en accéléré la course du soleil sur neuf objets placés sur un fond noir qu’on retrouve dans l’exposition.

Dans la perspective de Bayard, Aurélien Mole étudie et joue des conditions d’apparition des choses, de leur tangibilité dans la représentation et la production. L’exposition traite d’un moderne contemporain. Moderne, en effet, dans son auscultation des procédés de représentation et de fabrication des objets, à travers les logiques sérielles, les questionnements quant aux notions de copie et d’original, de fac-similé, de délégation du geste de l’artiste et d’artisanat à l’épreuve du productivisme positiviste. Contemporain en usant des techniques et outils d’aujourd’hui à l’instar de l’imprimante 3D ou des stratégies de leurre et de fantasme autorisées par la diffusion virale de l’image par internet.

Et la scénographie de poursuivre cette même logique citationnelle et critique. L’artiste choisit à dessein d’investir le Quai, espace emblématique d’un lieu d’art contemporain portant fièrement les stigmates du passé industriel du bâtiment comme affront à la neutralisation du sacrosaint cube blanc. L’artiste l’obstrue en façade par un imposant rideau de scène et y impose une scénographie muséale qui joue à la fois avec l’univers du théâtre, de l’escamotage visuel et des codes de l’accrochage moderne. Les tablettes de présentation qui viennent niveler l’espace dans une perspective toute moderne, à la fois élégante et implacable, font référence à l’illustre galerie 291 de New York. Fondée par Alfred Stieglitz et Edward Steichen, se côtoyaient à l’orée du vingtième siècle dans cette tête chercheuse de l’avant-garde œuvres des grands maîtres européens - Matisse, Rodin, Brancusi ou Duchamp - et curiosités archéologiques et ethniques de rigueur à l’époque. Ce fut également un des premiers de lieu de reconnaissance artistique de la photographie.

« Bénin » concentre bien des obsessions de cet artiste reconnu aussi bien pour son travail artistique, son observation assidu de la plupart des expositions présentées en France – Aurélien Mole est le photographe attitré de nombres d’institutions -, et sa pratique du commissariat d’exposition.