le portrait réalisé par Yves Guillot (sans titre, 1992), extrait de la série intitulée « au molin » est un exemple représentatif, dans l’emploi qui est fait du médium photographique, d’un travail qui, depuis le début des années 70 (et la rencontre avec Ralph Gibson, tellement déterminante), n’a cessé d’interroger le rapport du photographe au réel, proposant une approche très personnelle de celui-ci où la subjectivité et l’inconscient du regardeur (qu’il s’agisse du regard posé par le photographe lui-même ou par le public) interviennent de manière décisive.
La production photographique d’Yves Guillot appartient à la famille des œuvres qui semblent mettre en échec, avec la tranquille et péremptoire désinvolture qui les caractérisent (ce qui est, peut être la marque de singularité d’une œuvre véritablement originale, en tous cas inclassable) toute entreprise de théorisation. Il existe cependant quelques pistes de lecture : simples indications qui ne sauraient prétendre avoir valeur de conclusion définitives.
Loin des écueils d’une morbidité facile ou de l’introspection narcissique, ce travail propose une appréhension du réel à la fois déroutante et fascinante. Ces fragments visuels énigmatiques qui souvent, ne semblent renvoyer qu’à eux-mêmes, obéissant à une sorte de logique interne, complexe, mais toujours parfaitement cohérente, Yves Guillot semble les exhumer directement de son subconscient comme autant d’images mentales, de « flashs » de conscience interceptés par l’intermédiaire de l’image argentique.
sa cohérence est certainement l’un des aspects les plus troublants et les plus paradoxaux de cette pratique tellement dévolue à l’expression de visions qui sont avant tout de l’ordre de l’instinctif. il est possible de distinguer deux pôles, apparemment contradictoires, au sein de ces images qui semblent tantôt solidement ancrées dans un réel d’une rassurante stabilité dont rien ne semblerait pouvoir troubler l’irréductible quiétude, tantôt arrachées au réel avec une brutalité inouïe, une sorte d’impatience prédatrice.
C’est pourtant dans les deux cas la même violence sémiologique qui est en jeu. Les images d’Yves Guillot font définitivement obstacle à l’interprétation, en fait au langage dans ces moments de fracture où le réel bascule soudain dans l’univers énigmatique de visions brouillées par l’inconscient : autant de messages visuels, simples et directs dont l’irrépressible surgissement semble reproduire celui du bombardement photonique.
le brouillage fréquent du visible (par le biais de flou photographiques) par exemple) est d’autre part révélateur de l’influence décisive exercée par Lacan sur Yves Guillot, et de la psychanalyse en général. L’idée que le « ça », par opposition au « moi » et au « sur-moi » s’exprime de façon irrépressible est déterminante. Arnaud Claass écrit d’ailleurs à ce sujet : « pour parler philosophiquement, je dirais qu’Yves Guillot nous ramène c=sans cesse à la question du sujet et de l’objet, et probablement aussi de la notion d’imago (la psychanalyse n’est pas loin). Ses images ne ressemblent nullement à des « créations ». »
Yannick Vigouroux
in IX, publication de l’ENP d’Arles, 1993