L’exposition de l’artiste canadienne Edith Dakovic (née en 1968, vit et travaille à Toronto et Berlin) se compose de deux petites figurines et de 11 tableaux qui s’apparentent autant à de la sculpture que du dessin.
Cela fait près de 20 ans que cette artiste utilise le caoutchouc siliconé comme matériau de base de son travail. Son intérêt pour ce matériau repose sur la possibilité de pouvoir créer des formes en deux ou trois dimensions, de reproduire les similitudes visuelles et tactiles de la surface de la peau humaine, sans être pour autant un simulacre mais plutôt une version abstraite : la toile est visible sous les couches de caoutchouc siliconé teinté. La peau – et plus généralement le corps humain – sont abordés dans les œuvres d’Edith Dakovic comme des images produites, mais sont à la fois images et objets, parce que les dessins et les peintures sont travaillées à même le caoutchouc siliconé comme un tatouage.
Edith Dakovic ne cherche pas simplement à créer une ressemblance physique avec la peau en s’appuyant sur des signes, mais utilise aussi un répertoire iconographique, comme celui des tatouages traditionnels et modernes qui ne renvoie pas seulement à une référence culturelle mais qui s’associe à des moments de désir et de projections mentales.
La « peau » selon Edith Dakovic est l’ultime frontière entre l’intérieur et l’extérieur. Partant de là, c’est plus cette orientation thématique qui l’intéresse et le lien entre l’individu et le contexte socio-politique. Il ne s’agit pas d’une simple confrontation physique entre l’idée des corps individuels et collectifs mais plutôt des frontières symboliques qui sont attribuées à des motifs perceptibles (identitaires) au propre comme au figuré.
Ses sculptures sont une évidence de construction et de déconstruction du corps mais elles incarnent aussi bien des faits historiques marquants, des récits mémorables comme une sorte de description des références culturelles. Elles évoquent non seulement la représentation iconographique des estampes japonaises du 19ème siècle, ou celle des tatouages des marins, mais peuvent aussi faire penser aux objets datant du début des années 40 que les nazis allemands faisaient avec la peau humaine.
L’intérêt de cette exposition « the sameness of difference / l’égalité des différences » s’appuie plutôt sur d’autre références. Ici la haute culture moderne est associée à la théorie de la couleur, soulevée par Josef Albers, et par l’abstraction géométrique (en peinture) du début du 20e siècle. Son enseignement de la couleur au Bauhaus a enrichi son portfolio en matière de recherche, « Interaction of Color » (publié en 1963) étudie l’évolution des relations de la couleur, la perception visuelle des combinaisons colorées et par conséquent apporte une contribution basée sur plusieurs informations et communications visuelles basiques.
Edith Dakovic reprend, dans certains de ses travaux récents, ces idées et théories. Ainsi, les images de la série « The Same Difference » (2010-2011) agissent en binôme au sens où un même ton s’inscrit dans le caoutchouc siliconé. Chaque image située dans l’espace central est un champ de peau, entouré, comme encadré, d’une surface géométrique peinte colorée. A travers l’interaction de la couleur, le ton de la peau semble varier. La contextualisation socio-politique de cette série pourrait être faite par le biais de l’inscription de la peau, renforcée alors par l’utilisation de quatre langues différentes (anglais, hébreu, arabe et japonais) qui donnent toutes à voir le mot « Mother ».
Egalement, les différents formats et formes des séries présentées dans cette exposition sont représentés à travers trois images : les petits formats intitulés « Tatoo Studies » (2007), contrairement à « The Same Difference » qui se fond de part son épaisseur au mur, sont formulés comme des tableaux où les motifs des tatouages sont incorporés à la toile caoutchoutée tendue sur un châssis. Ils deviennent comme des miniatures qui montrent des petits éléments précieux de la mémoire.
« Koi » (2009) relève plus de l’objet, parce que c’est une image. Le dessin du poisson japonais Koi sur le velouté de la peau très fine de caoutchouc siliconé devient une sorte de décor sur un morceau de tissu, qui pend contre le mur et qui, de ce fait, cache partiellement le dessin.
Les deux figurines issues de la série « When Push Comes to Shove » (1999) font partie des œuvres les plus anciennes de l’exposition. Telles des poupées naturalistes, ces figurines représentent des anonymes, des personnages stéréotypés de la vie quotidienne, habillés de vêtements intemporels. Debout sur des socles lestés tels des culbutos, ces personnages peuvent se mettre en mouvement simplement par le toucher.
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